La
construction européenne a déjà plus de 62 ans si l’on met en route
le compteur à la naissance de la Communauté économique du charbon et
de l’acier en 1952. Si dans un long premier temps, elle a été
principalement l’affaire de la classe politique et de certaines
professions directement concernées par son développement
(fonctionnaires européens, financiers et exportateurs, industriels,
juristes spécialisés en droit communautaire...), l’essentiel des
populations européennes des États membres y était largement
indifférente. Tout changea avec la décision prise par les élites
politiques et économiques de transformer le marché commun des
origines, surtout connu pour sa célèbre politique agricole commune
(PAC), en une Union économique et monétaire (UEM). Pareil projet
nécessitait de telles transformations des mentalités, notamment pour
passer à une monnaie commune, qu’il a fallu entreprendre une
extraordinaire politique de communication auprès des populations pour
essayer de convaincre un maximum de monde possible du bien-fondé de
l’entreprise et de ses bienfaits.
C’est
avec les débats sur le projet de Traité de Maastricht, dès avant son
adoption par les chefs d’État et de gouvernement en décembre 1991,
que l’Europe sortit de son «anonymat» populaire... Naquirent ainsi de
sérieuses et nombreuses polémiques et controverses dans l’espace
public tant sur le sens de cette construction que sur son rythme et ses
élargissements, donnant lieu à des dénominations, faisant circuler
des argumentaires et des mots d’ordre, et cristallisant des postures
politiques : néolibéralisme contre développement de la redistribution
sociale, souveraineté nationale contre supranationalisme, Europe des
États contre Europe des régions, Europe de gauche contre Europe de
droite. Des bipolarisations fortes se construisirent engageant le rejet
ou le soutien pur et simple soit de la construction européenne soit du
tournant amorcé depuis 1985 et le grand marché.
Intégration
contre élargissement, fédéralisme contre confédéralisme,
supranational contre intergouvernemental, Europe à une vitesse contre
Europe à plusieurs vitesses : les polémiques sont aussi intenses parmi
les partisans de la construction européenne. Certes ces débats sont
plus anciens mais ils restent tout aussi vifs parmi ceux qui s’entendent
pourtant à œuvrer à l’édification d’une Europe intégrée.
Avec
le virage effectué par le pouvoir politique de l’Union européenne
dès 2010 par l’adoption des mesures de la nouvelle gouvernance
économique, controverses et polémiques se renforcent de plus belle
tout comme la popularisation négative du pouvoir européen symbolisé
par une Troïka dont la légitimité est elle aussi fortement mise en
débat : Europe des riches contre Europe des pauvres, Europe des banques
contre Europe des peuples... Le clivage semble s’accroître davantage
de part et d’autre.
Ce
prochain événement scientifique prolonge la réflexion commune
entamée à l’automne 2013 par le « groupe de Besançon » sur la notion
de contre-discours d’Europe et qui a débouché sur la création d’un
réseau transnational de réflexion et d’échange dénommé l’Observatoire des discours d’Europe (http://disceurope.hypotheses.org/).
Il vise à élargir le cercle de partage des études sur ce type de
production discursive ainsi que les disciplines représentées :
sciences politiques, socio-linguistique, sociologie, histoire,
communication politique et journalisme, économie, philosophie.
Le
colloque a pour ambition de réunir deux jours durant des chercheur.e.s
universitaires de diverses disciplines travaillant sur des terrains de
recherche très variés et qui ont comme point commun de s’intéresser
aux discours produits par les acteurs qui s’affrontent autour du
processus de la construction européenne, que ce soit d’un point de vue
diachronique ou synchronique. Le but est de faire le point sur l’état
des principales controverses et polémiques sur la construction
européenne pour réfléchir sur l’état réel de l’intégration
européenne : quelles sont les polémiques qui s’éteignent ? Quelles
sont celles qui survivent au temps ? Retrouve-t-on les mêmes types de
débats dans tous les espaces nationaux ? Y a-t-il vraiment débat ou
bien s’enferre-t-on dans des monologues imperméables les uns aux autres
? Existe-il au contraire des dialogues qui s’enrichissent mutuellement
dans la durée ? Quelles sont les controverses-clés de l’heure ? Quels
sont les styles, les arguments, les figures, les artifices les plus
mobilisés pour polémiquer? Qui soutient l’Union européenne, qui la
condamne? Qui soutient l’Europe, qui la condamne ? Ces deux dernières
questions amenant des réponses bien différentes. Nous serons
également amenés à nous demander quel est le rôle des discours
médiatiques dans la construction des problèmes publics liés à
l’Europe (i.e. l’entrée de la Turquie) et dans la médiatisation des
débats présentés comme des polémiques ou des controverses.
Enfin,
les polémiques et controverses autour de l’Europe sont également
éclairées par leur contraire, la recherche d’un consensus, par exemple
lorsque les élites politiques nationales tendent à invoquer l’Union
européenne pour créer le consensus autour de mesures entreprises, en
particulier dans le champ socio-économique. Quelles sont les modalités
de ces types de discours? L’Europe y joue-t-elle le rôle d’un bouc
émissaire, d’une contrainte extérieure ? Est-elle présentée comme le
lieu de définition du politiquement raisonnable ? Comme l’échelle de
gouvernement (ou de « gouvernance ») adéquate pour faire face aux «
défis de la mondialisation » ? Bref, comment l’Europe s’articule-t-elle
aux discours politiques et économiques ? Comment participe-t-elle au
découpage discursif des différentes sphères d’activité sociale ?
Comment participe-t-elle à la distinction, en amont de la polémique,
entre ce qui peut faire l’objet d’une polémique et ce qui ne le peut
pas ?
Au-delà
des discours politique et médiatique, il nous intéresse d’interroger
aussi la dimension des publics médiatiques ou citoyens par le biais des
polémiques « profanes », que l’on peut retrouver sur des forums de
discussion ou des réseaux sociaux. Les publics vont en effet acquérir
une importance de plus en plus grande au fur et à mesure que le
processus de construction européenne avance et que se développent des
outils de consultation et des dispositifs sociotechniques de
participation. La parole citoyenne, qu’elle apparaisse comme des
énoncés éclatés (commentaires sur Facebook par exemple) ou sous
forme organisée (sondage), est en effet toujours convoquée par les
instances de décision, soucieuses de développer les processus de
consultation. Mais cette parole peut également déclencher la
polémique en lançant des pétitions ou des initiatives citoyennes.
Dans ce contexte, la polémique peut être vue comme un outil de
démocratisation. Travailler sur l’Europe, c’est aussi s’inscrire dans
un contexte de multilinguisme ; l’Union européenne prend en compte
officiellement 24 langues distinctes. Des travaux sur des corpus
multilingues seront particulièrement appréciés.
Un
appel est lancé afin de recueillir des propositions de communication,
que ce soit tant de praticiens de l’analyse du discours, quelle que soit
la méthode d’analyse pratiquée, que des analystes travaillant sur les
acteurs, les institutions et les politiques de l’Union européenne : le
point de convergence des communications qui animeront ce colloque
étant l’analyse de polémiques tant passées qu’actuelles sur le
contenu et la forme de l’Europe à partir de matériaux textuels. Nous
encourageons les participants à construire des corpus ad hoc
susceptibles d’exemplifier les questions ici évoquées –la liste
n’étant pas par ailleurs exhaustive.
INFORMATIONS PRATIQUES ET CALENDRIER
Lieu : Université libre de Bruxelles (ULB);
date : 17 et 18 décembre 2015
Langue de travail : français et anglais
Calendrier de l’événement :
Appel à communication : 5 décembre 2014
Retour des projets de communication : 1er mars 2015
Sélection des projets : 1er mai 2015
Retour des textes de communication : 1er décembre 2015
FORMAT DU PROJET DE COMMUNICATION
3500
signes (espaces compris) comportant le nom, la discipline,
l’Université de rattachement et le courriel du/des auteurs, le titre de
la communication, la description de l’objet de la recherche, la/les
méthodes d’analyses mobilisées, la mise en évidence de son
inscription dans le thème du colloque.
COMITE D’ORGANISATION BELGE
Arthur
Borriello (Politologue, Cevipol-ULB), Laura Calabrese (Analyse du
discours, RESIC-ULB), Jean-Claude Deroubaix (Sociologue, sciences du
langage, ESHS-UMons), Denis Duez (Politologue, IEE-USL-B ; GT ABSP «
Europe »), François Fecteau (Sociologue, GRAID-ULB), Geoffrey Geuens
(Communication, LEMME-ULg), Corinne Gobin (Politologue, GRAID-ULB ; GT
ABSP « Questions sociales »), Clément Jadot (Politologue, Cevipol-ULB),
Heidi Mercenier (Politologue, CRESPO-USL- B, groupe de contact
F.R.S.-FNRS Langue(s) et Politique (s)).
COMITE SCIENTIFIQUE INTERNATIONAL
Julien
Auboussier (Communication, Université de Franche-Comté), Paul Bacot
(Politologue, professeur émérite de l’IEP Lyon), Michelangelo
Conoscenti (Linguiste, Università di Torino), Alice Krieg-Planque
(Communication, Université Paris Est-Créteil), Hélène Michel
(Politologue, IEP de Strasbourg), Susan Milner (Politologue, University
of Bath), Umberto Morelli (Historien, Università di Torino), Coco
Norén (Linguiste, Uppsala University), Claire Oger (Communication,
Université Paris Est-Créteil), Rachele Raus (Linguiste, Università di
Torino), Philippe Schepens (Linguiste, Université de Franche-Comté),
Agnès Steuckardt (Linguiste, Université de Montpellier), Pierre Tilly,
(Historien, Université catholique de Louvain).
Ce
colloque est soutenu par l’Observatoire des discours d’Europe
(Université de Franche-Comté) et le Centro Studi sull’Europa (Università
di Torino).
Les projets de communication sont à envoyer à
cogobin@ulb.ac.be, François.Fecteau@ulb.ac.be, lcalabre@ulb.ac.be