Cadre
En 2005, le numéro de Faits de Langues consacré à l’exception
observait le phénomène à travers les rapports établis entre les
théories linguistiques et l’expérience. Ce numéro se faisait l’écho de
l’observation éclairante de Benveniste : « Bien des découvertes ont
commencé par une observation semblable, un désaccord dans le système,
une perturbation dans un champ, un mouvement anormal dans une orbite »
(1966 : 35). Il nous semble souhaitable de revenir aujourd’hui sur ces
formes exclues qui ont peu bénéficié de l’intérêt des linguistes, en
élargissant notre intérêt à des questionnements discursifs et
épistémologiques à propos des fonctionnement et signification non
seulement de l’exception, mais aussi de l’exclusion et de la
restriction. En effet, ces catégories, bien qu’elles forment les trois
pôles d’un triangle sémantique couramment admis, restent empreintes de
caractéristiques spécifiques sur lesquelles nous souhaiterions nous
attarder.
Objectifs
Ainsi, les pistes que nous voudrions présenter à la réflexion ont
trait tantôt aux formes linguistiques (1), tantôt aux genres de discours
(2), tantôt encore à l’épistémologie et aux valeurs des pratiques
linguistiques et didactiques (en ce compris le français langue
étrangère) (3).
(1) D’un point de vue linguistique, est-il possible de différencier
l’exception et l’exclusion, voire la restriction ? Les voies empruntées
pour répondre à cette problématique principale peuvent être
morphosyntaxique et/ou sémantique. Dans le premier cas, l’on étudiera
par exemple :
la question des formes linguistiques rendant compte de l’exclusion, de la restriction et de l’exception, comme
les rapports particuliers que ces formes instaurent avec un ensemble
initial (le groupe-mère) qui représente l’échantil ou la norme ;
la combinatoire des formes exceptives ou exclusives avec des
déterminants spécifiques ainsi que le statut et la valeur syntaxique de
ces tournures (i.e. mis à part, sauf, exception faite pour, à l’exception de, etc.) ;
les types de constructions syntaxiques par lesquelles elles sont
rendues : phrases nominales, tournures marginales, recours au
parenthésage, ordre atypique ;
les irrégularités des paradigmes (par exemple de conjugaison ; i.e. vous disez) qui alimentent les vieux débats sur l’opposition analogie/anomalie.
les approches typologiques diachroniques, comparatives, et/ou contrastives constituent également des pistes possibles.
Dans une perspective sémantique et expressive, il serait intéressant notamment d’analyser :
les spécificités voire les recouvrements de sens des formes restrictives, exceptives et exclusives ;
les différentes manières de lier la partition (rendues par des locutions telles que mis à part, exception faite, à moins que, sinon, etc.) à l’idée de hiérarchisation, de valorisation ou de dévalorisation, ainsi que la fonction sémantique des entités exclues ;
les rapports sémantiques établis entre les entités considérées dans les SN introduits par mis à part, par exemple, et les SN de la phrase principale ;
la diversité des rapports méronymiques entre le groupe originellement
constitué (le groupe-mère) et les sous-groupes exclus ou exceptés.
(2) Pour ce qui est du deuxième axe d’étude, l’accent peut être mis à
la fois sur les genres de discours (existe-t-il des genres propices à
l’expression des formes exclusives ?) et sur leurs usages énonciatifs et
rhétoriques. Citons en guise d’exemples :
l’existence de traits de style particuliers (à l’oral comme à l’écrit),
la configuration textuelle,
la liste (liste noire, liste rouge, etc.),
les procédés rhétoriques (i.e. la dissociation des notions)
et les stratégies argumentatives telles que le recours à des procédés
d’atténuation, de minimisation, de restriction, de détournement,
d’euphémisation, de comparaison négative, etc.
la notion de restriction (explicitée par des connecteurs tels que unless, à moins que, cf.
axe 1) dans la chaine de raisonnement modélisée par Toulmin (1958).
Partant, une autre voie aussi intéressante à explorer serait celle du
questionnement des postulats de ce schéma argumentatif, ce qui ouvre la
porte à un troisième axe de recherche, davantage épistémologique.
(3) Les pratiques des linguistes, grammairiens et didacticiens (FLM et
FLE) conduisent à sélectionner, parfois au gré des modes scientifiques,
les sujets ou les formes linguistiques à aborder, au détriment de faits
de langue pourtant fréquents dans les discours. Or, du point de vue
épistémologique, il serait intéressant de s’interroger sur notre propre
éthique :
quelles sont nos valeurs et nos normes en matière de constitution de corpus et de transmission des usages et des savoirs ?
quel est le degré de validité d’exemples tels que Je veux pas, Il faut pas qu’il vient, Vous faisez, Il neige et elle tient, Je parle très mieux que toi et je te merde ?
est-il encore pertinent de travailler à partir d’énoncés fabriqués ?
n’est-il pas temps de revoir les notions d’acceptabilité,
d’agrammaticalité et de normes scolaires, alors que des énoncés dits
« fautifs » sont devenus pratiques courantes (après que +
subjonctif) ou, à fortiori, largement entrés dans la mémoire collective
et donc devenus en quelque sorte des énoncés paradigmatiques (Si j’aurais su, j’aurais pas venu) ?
Quelques références
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Vilkou-Poustovaïa Irina (dir.), Faits de langues : L’exception entre les théories linguistiques et l’expérience, 25, Paris, Ophrys, 2005.
Modalités de soumission
Les propositions de communication (de deux pages maximum, bibliographie comprise) devront être renvoyées avant le 1 septembre 2012
aux trois adresses suivantes : lrosier(at)ulb.ac.be (Laurence Rosier),
dvanraem(at)ulb.ac.be (Dan Van Raemdonck), aroig(at)ulb.ac.be (Audrey
Roig).
Notification d'acceptation
Le 15 octobre 2012.
Critères de sélection
Toute proposition doit être un travail original et non publié, en français.
Chaque soumission fera l’objet d’une évaluation anonyme, en fonction
de critères tels que l’originalité de la proposition, la précision de
son contenu, le caractère empirique de l’étude et sa clarté.
Comité d’organisation
Centre de recherche LaDisco de l’Université Libre de Bruxelles.
http://ladisco.ulb.ac.be
Comité scientifique
Avanzi Mathieu (Université de Neuchâtel), Choi-Jonin Injoo (Université
de Toulouse II – Le Mirail), Defays Jean-Marc (Université de Liège),
Dufaye Lionel (Université Paris-Est Marne la Vallée), Fuchs Catherine
(Lattice / ENS Paris), Gournay Lucie (Université Paris-Est Marne la
Vallée), Hambye Philippe (Université Catholique de Louvain), Kleiber
Georges (Université de Strasbourg), Manzotti Emilio (Université de
Genève), Mignon Françoise (Université de Perpignan Via Domitia), Moïse
Claudine (Université de Grenoble), Neveu Franck (Université de Caen),
Reichler-Béguelin Marie-José (Universités de Neuchâtel et de Fribourg),
Salvan Geneviève (Université de Nice Sophia Antipolis).
Conférenciers invités
Emilio Manzotti (Université de Genève), Claudine Moïse (Université de
Grenoble), Franck Neveu (Université de Caen), Geneviève Salvan
(Université de Nice Sophia Antipolis), Marc Wilmet (Université Libre de
Bruxelles).
Responsable : Ladisco
Url de référence :
http://ladisco.ulb.ac.be/
Adresse : Université Libre de BruxellesCP 175Avenue F.D. Roosevelt 501050 BruxellesBelgique