L’expression de la causalité en langue maternelle et en langue étrangère
(Université Catholique Jean-Paul II de Lublin - Pologne)
organisé par : Urszula Paprocka-Piotrowska (Université Catholique de Lublin, Pologne), Claire Martinot (Sorbonne Université, France), Tomislava Bošnjak Botica (Institut de Langue Croate et de Linguistique, Croatie), Sonia Gerolimich (Université d’Udine, Italie)
Argumentaire :
La causalité est d’abord le résultat d’une interprétation que notre esprit pose entre deux situations, états, événements dont l’un détermine l’autre. La causalité est donc une relation orientée, exprimée en langue par un type d’enchaînement argumentatif (Carel, 2001, Ducrot, 2001) qui se manifeste de façon très diversifiée dans les langues, y compris sans l’appui (explicite) d’un marqueur comme en (1).
(1) Pierre est très heureux, il part au Groenland
Parmi les caractéristiques de l’expression de la causalité, on peut relever que le nombre des connecteurs dédiés à la relation causale (fr. parce que, puisque, car, comme et quelques autres) est réduit ou encore que les relations causales ne soient pas toutes réversibles. Ainsi (1) peut être interprété comme en (1a) ou comme en (1b) :
(1a) Pierre est très heureux parce qu’il part au Groenland.
P PCQ Q
(1b) Pierre part au Groenland, donc il est très heureux.
Q DC P
En (2), en revanche, la relation en donc est douteuse :
(2) Chloé aimait le froid parce qu’elle dormait mieux. (?? Chloé dormait mieux donc elle aimait le froid)
Une autre caractéristique de la relation causale (en français et en anglais, entre autres langues) est la proximité de pour et parce que (3) :
(3) Max a été puni pour son insolence. (= parce qu’il a manifesté de l’insolence)
En ancien français pour (ce que) Q et par (ce que) Q étaient proches (Gross & Nazarenko, 2004 : 19).
On se demandera également dans quelle mesure la langue distingue les différents types de causalité envisagés par notre pensée : la cause fortuite, factuelle (4 et 5) versus la cause volontaire, humaine (6). Ou encore, si la langue distingue différents degrés de causalité : causalité faible (7) ou causalité forte (8) :
(4) Les rues ont été inondées par des torrents de boue.
(= parce qu’il y avait des torrents de boue, à cause des torrents de boue, où la préposition par, introduisant le « complément d’agent » introduit (plutôt ?) un complément de cause)
(5) La lumière apparaît à l’horizon parce que le soleil se lève.
(6) Les congères ont été dégagées par des chasse-neige.
(= parce que des chasse-neige (conduits par Nhum) se sont mis en action)
(7) Tom est très heureux, il ne sait plus quoi dire.
(8) Tom est tellement heureux qu’il ne sait plus quoi dire.
Ces quelques exemples sont loin d’épuiser les différents types de causalité (corrélation logique (9), relation temporelle (10), circonstancielle (11) …) et les différents moyens dont chaque langue dispose pour exprimer les relations causales :
(9) Plus il y a de brouillard, plus la visibilité est réduite.
(10) Quand il y a du brouillard, la visibilité est réduite.
(11) Avec le brouillard, la visibilité est réduite.
Le questionnement linguistique sur le fonctionnement des relations causales dans toute langue ou entre plusieurs langues constitue l’axe 1 du colloque.
L’axe 2 du colloque sera plus directement lié à la production et à la compréhension des relations causales par des locuteurs spécifiques. En effet, la diversité des moyens mis par chaque langue à la disposition des locuteurs n’implique pas que ces moyens soient utilisés de la même façon par les uns et les autres. Enfants ou adultes, locuteurs natifs ou allophones, en production/compréhension orale ou écrite, sont autant de paramètres qui vont influencer l’expression des relations causales.
Seront bienvenues les communications qui aborderont, dans tout cadre théorique, l’acquisition des relations causales :
- par des enfants d’âges différents, dans plusieurs langues maternelles,
- par des enfants ou des adultes ayant des troubles du langage,
- par des adultes allophones en langue étrangère,
- par des locuteurs plus ou moins scolarisés dont on comparera le même discours à l’oral et à l’écrit.
Si l’on peut admettre, à la suite de Kant, que la causalité est une catégorie a priori de l’entendement, et qu’elle ne dérive donc pas de la seule observation des faits, son expression linguistique reste, en grande partie, déterminée par les moyens linguistiques disponibles dans chaque langue et la capacité de chaque locuteur à comprendre la présence et la spécificité de chaque relation causale dans le discours entendu. Les moyens d’expression de la causalité relèvent donc de l’observation que font tous les locuteurs de la langue qu’ils acquièrent.
Références indicatives :
Anscombre, Jean-Claude, 1984. La représentation de la notion de cause dans la langue, Cahiers de grammaire, 4, 1-53.
Benazzo, Sandra, 2004. L’expression de la causalité dans le discours narratif en français L1 et L2, Langages, 155, 33-51.
Boniecka, Barbara, 1995, Pragmatyczne apekty wypowiedzi dziecięcych. Lublin, Wydawnictwo UMCS.
Carel, Marion, 2001, Argumentation interne et argumentation externe au lexique : des propriétés différentes, Langage, 142, 10-21.
Christoforou, Nathalie, Christofi, Marina, 2014. Expression de la cause dans les productions écrites et orales en FLE: apprenants chypriotes hellénophones, Colloque international des Etudiants chercheurs en Didactique des langues et en Linguistique, Lidilem, Juin 2014, Grenoble, France (hal-01252335).
Couper-Kuhlen, Elizabeth & B. Kortmann, Bernd (Eds.), 2000. Cause, condition, concession and contrast: Cognitive and discourse perspectives. Berlin-New York, Mouton de Gruyter.
Diessel, Holger, 2004. The acquisition of complex sentences. Cambridge: CUP.
Ducrot, Oswald, 2001. Critères argumentatifs et analyse lexicale, Langage, 142, 22-40.
Gross, Gaston, 2010. Sémantique de la cause, Paris, Vrin.
Gross, Gaston et Nazarenko, Adeline, 2004. Quand la langue cause : contribution de la linguistique à la définition de la causalité, Intellectica, 2004/1, 38, 15-41.
Grunig, Blanche-Noëlle et Roland, 1985. La fuite du sens dans l’interlocution, Paris, LAL Crédif, Hatier.
Jisa, Harriet, Mazur Audrey, 2006. L’expression de la causalité : une étude développementale, Actes du colloque Des savoirs savants aux savoirs enseignés, Namur, Presses universitaires de Namur, 33-60.
Martinot, Claire, 2013. L’acquisition de la causalité est-elle comparable chez tous les enfants ? Travaux de linguistique, 66, 15-52.
Nazarenko, Adeline, 2000. La cause et son expression en français, Paris, Ophrys.
Pilecka, Ewa, 2007. « Mourir d`ennui, s`ennuyer à mort » : quelques problèmes de description et de la traduction de syntagmes prépositionnels circonstants / pseudo-circonstants de cause en français et en polonais, Bulletin de Linguistique Appliquée et Générale, 32, 145-163.
Sanders, Ted & Sweetser, Eve (Eds.), 2009. Causal categories in discourse and cognition, Berlin, Mouton de Gruyter.
Van Den Broek, Paul, 1990. Causal inferences and the comprehension of narrative texts, Psychology of Learning and Motivation, 25, 175-196.
Comité de lecture :
Birtić Matea, Institut de Langue Croate et de Linguistique
Bramati Alberto, Université de Milan
De Gioia Michele, Université de Padoue
Do-Hurinville Danh Thành, Université Bourgogne-Franche-Comté
Druetta Ruggero, Université de Turin
Gueorguieva Steenhoute Elena, Institut de sciences politiques de Paris
Hržica Gordana, Université de Zagreb
Jo Mihwa, Université autonome de Barcelone
Karpińska-Szaj Katarzyna, Université Adam Mickiewicz, Poznań
Marque-Pucheu Christiane, Sorbonne Université
Muller Claude, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3
Oraić Rabušić Ivana, Institut de Langue Croate et de Linguistique
Piotrowski Sebastian, Université Catholique Jean Paul II de Lublin
Piotrowska-Skrzypek Małgorzata, Université de Varsovie
Richard Elisabeth, Université Rennes 2
Romero Clara, Université de Paris
Stabarin Isabelle, Université de Trieste
Wojciechowska Bernadeta, Université Adam Mickiewicz, Poznań
Vecchiato Sara, Université d’Udine
Zuliani Alessandro, Université d’Udine